Thésée et le Minotaure, les deux faces d’une pièce

Écrit par Olivier Rigaud. Publié dans CULTURE

C'est l'histoire du jeune Thésée qui se porte volontaire pour affronter la redoutable bête, la terrible créature qui vit au fond du labyrinthe : le Minotaure. Mais au final, lequel est un monstre ? Comment ne pas partager la souffrance de ce Minotaure, cet enfant dépassé par sa propre puissance ? Revus par le Krizo théâtre, Minos, Pasiphaé, Thésée ou Ariane sont débordés par leurs passions, écorchés vifs et sensibles. Il se blessent les uns les autres et pleurent de leur propre brutalité.

Dans « La saillie de l'innocence », à l’écriture dramatique et contemporaine d'Izanne, la chair le dispute à la terre, c’est un spectacle physique et intense. L’animal se couvre de poussière et le visage du guerrier l’est par la boue. Les comédiens sortent leurs tripes sur la scène. Sensuels, heurtés, leurs corps bougent, dansent, se séduisent et s’entremêlent. Le héros assoiffé de sang tue l’innocent pour faire cesser le carnage et sauver l’humanité. N’a t-il pas créé cette adversité pour sa propre gloire ?

Christophe Thébault a créé cette compagnie en 2003, mélangeant son prénom à celui de sa fille, Zoïa, qui signifie « or » en grec ancien ou « crise » en esperanto. Il était alors comédien au Faux col, à Meung-sur-Loire, avec Laurent Dupont et Renaud Robert mais souhaitait « aller plus loin dans la recherche sur le masque. » Après avoir travaillé auprès d’Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil, il articule l’approche artistique du Krizo autour du masque balinais, indien ou italien…

« Le masque n’est ni humain, ni dieu. C’est une utopie sur la condition humaine, un medium qui nous amène vers des choses qu’on ne comprend pas forcément. » Que faire aujourd’hui des mythes antiques pour parler de l’avenir, « donner un sens » ? Le metteur en scène a décidé de relier les arts : marionnettes, acrobaties aériennes, arts du cirque… « Ado, je trouvais le théâtre barbant ! Pour parler à un public jeune à travers une tragédie comme Antigone, on a utilisé la musique d’un film de zombies, un univers punk, pour les choper comme avec un hameçon ! »

Avec Antigone, Christophe Thébault a mis « le doigt dans les mythes… Le Minotaure, c’est un labyrinthe dans lequel je me suis d’abord perdu. » D’où l’idée du diptyque, avec « La saillie de l’innocence », poème contemporain, et « La légende de Thésée », qui offre une lecture ludique et globale, dans une tradition burlesque et Commedia dell’arte. « Les personnages empruntent des couloirs qui sont autant de sentiments puissants : chacun son labyrinthe. Thésée va rencontrer son monstre à lui, qu’il doit affronter pour quitter l’adolescence… Un homme crée son monstre, l’enfante, et doit se battre contre lui pour accéder au niveau supérieur, au bonheur, comme le décrivent André Gide ou Luc Ferry. »

La scénographie est savamment réfléchie pour jouer entre ce que l’on doit montrer et ce qu’il vaut mieux suggérer. On assiste par exemple à l’accouchement bestial de la reine engrossée par le taureau blanc offert par les Dieux à son époux, le roi Minos. Les comédiens, cinq sur le Minotaure, s’engagent physiquement sans retenue.

Clémence, née à Gien, a débuté au théâtre de l’Escabeau : « Enfant, j’aimais raconter des histoires. » Après une école de comédie de musicale, un premier contrat d’intermittent lui permet de grandir en animant un parc naturel de Savoie, au soleil ou sous la pluie, au contact direct avec le public. Danse, chant, escrime, théâtre… Clémence reconnaît qu’il y a nécessairement « beaucoup d’opportunisme dans le choix des contrats, on a besoin de travailler. Mais on peut vite se faire du mal aussi en accumulant de la frustration. »

Elle a obtenu son rôle dans « La saillie de l’innocence » en répondant à une annonce ! Avant de se rendre à « une audition : j’ai pris une corde, attachée à la cheville et j’ai créé mon propre labyrinthe, davantage mental que physique. Puis, à la deuxième audition, j’étais un enfant qui va vers son monstre, son adulte peut-être, son enfance perdue… » Elle joue finalement Passiphaé, un rôle de mère « avec laquelle je partage un côté torturé, une force de caractère, une volonté. Cette femme tient tête en tant que femme, mère et reine, malgré un lourd passif ! » En confiance dans un groupe « plein d’énergie », elle apprécie d’avoir « assez de marge pour rester nous-mêmes : c’est unique ».

Unique, comme le sont de telles créations contemporaines, de vraies prises de risques : « La compagnie fonctionne à la recette, précise le metteur en scène : quand on monte un spectacle à perte, la flamme est encore plus forte, c’est une sorte de défi à soi et aux autorités qui accordent des subventions et ouvrent les portes des salles. On a des trucs à dire en tant qu’artistes, on ne va pas s’arrêter de crier notre art même si c’est difficile. » Alors le Krizo propose deux approches, deux lectures de la même histoire, avec une « Légende de Thésée » plus accessible, basée sur les masques et marionnettes burlesques. Deux versions, comme une entrée et une sortie d'un labyrinthe. Comme les deux faces d’une même pièce.

À Saint-Jean-de-Braye, au théâtre Clin d’Oeil:

Vendredi 23 et samedi 24 février à 20h30, « La saillie de l’innocence » ;

Dimanche 25 février à 16 heures, « La légende de Thésée ».

À Meung-sur-Loire, à la Fabrique :

Samedi 3 mars à 20h30, « La saillie de l’innocence » ;

Dimanche 4 mars à 16 heures, « La légende de Thésée ».

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