Trois cœurs au coin d'une rue
Au lendemain du reportage effectué en matinée dans une commune de l’agglomération orléanaise et en bords de Loire, auprès des travailleurs sociaux de l’Aidaphi et à propos des personnes sans-abris, j’ai croisé, hier soir, devant la cathédrale d’Orléans, une équipe des Restaurants du Cœur effectuant sa maraude. L’occasion de compléter cette première approche par les témoignages de trois bénévoles, qui vont au contact d’hommes et de femmes dans une situation de précarité extrême, à la rue.
« Il y a plein de causes à défendre, j’ai choisi la mienne ! » Un bol de soupe chaude à la main, dans la fourgonnette, Marjorie est prête à rejoindre Jacques, qui dort sur un trottoir. « Moi, je suis en bonne santé, alors je donne du temps, c’est du bon sens social », souffle Thaïb en même temps qu’une bouffée de cigarette. Said lui fait face dans la nuit : « Il faut être modeste sur ce que l’on est capable de faire. C’est pas grand chose mais c’est toujours ça de gagné sur la misère. On ne va pas l’enlever, c’est sûr. Mais il ne faut pas oublier que eux-aussi nous apportent beaucoup : on a droit à un merci, à des sourires... » Et de se souvenir d’un homme d’origine indienne avec lequel il a parlé cinéma, dernièrement, entre une cabane de toiles et la Loire.
Tentent-ils de les diriger vers des centres d’hébergement, où, selon la préfecture, des places les attendent ? « On leur donne de l’information, bien sûr, mais surtout à manger et des vêtements... On leur parle. » Marjorie n’est pas convaincue qu’il y ait suffisamment de places. Mais, tempère Thaïb, il n’est pas si évident de convaincre une personne à la rue de se rendre dans un service d’accueil, même en situation d’urgence : « Jacques, par exemple ne veut pas y aller, il est chez lui ici. » Said abonde : « Ils ont toutes leurs affaires avec eux, ils s’organisent entre eux ou seuls. Ils ont leur petit monde, propre contrairement à l’image d’Épinal que l’on en a parfois ».
Et Thaïb de préciser qu’il y a parfois de la violence dans ces espaces collectifs, où beaucoup ne se sentent pas à l’aise. Alors tous ces services se suivent et se croisent, ce qui permet de « voir les gens plusieurs fois, de rythmer leurs journées. » Si Thaïb se félicite de la complémentarité des différentes actions menées envers ces personnes à la rue, il pointe l’absence d’une plateforme de partage des données ou, tout au moins, d’échanges informels qui permettraient par exemple de mieux connaître les lieux de vie investis. Et souligne ainsi la grande complexité de la gestion de ces situations.
Petit message de Marjorie à l’attention des bonnes volontés : les équipes des Restos du Cœur cherchent quelqu’un parlant le russe, pour mieux communiquer avec des personnes venues d’Europe orientale, comme la Tchétchénie.