Quelle action pour les publics les plus marginalisés ?

Écrit par Olivier Rigaud. Publié dans SOCIETE

« D’ici la fin de l’année, je ne veux plus personne dans la rue, dans les bois. » Si le président de la République Emmanuel Macron n’avait pas lancé cette sentence en juillet 2017, les services de l’État seraient-ils aussi attentifs au devenir des personnes qui ne rentrent pas dans les statistiques des hébergements d’urgence ? La centaine de places complémentaires aux 860 places d’hébergement pérennes dans le Loiret auraient-elles été débloquées depuis le mois de novembre ?

Nathalie Costenoble, secrétaire générale adjointe de la préfecture, serait-elle venue, mercredi matin, retrouver l’Accompagnement des maraudes des équipes mobiles sociales (Aidaphi) à l’occasion d’une tournée ?

Peu importe finalement. Pour Benjamin, du service de proximité de l’Aidaphi Orléans, qui va régulièrement à la rencontre des publics les plus marginalisés : « Plus les financeurs peuvent venir se rendre compte sur le terrain de l’extrême précarité » des sans-abris, mieux c’est. La secrétaire générale adjointe de la préfecture a ainsi pu découvrir un squat dans une commune de l’agglomération, dans lequel un homme de 45 ans s’est posé depuis quelques mois, et des baraquements en bord de Loire près du pont de l’Europe où sont installées 7 à 12 personnes.

« On est sur la recherche, explique Nathalie Costenoble, conformément aux vœux du président de la République, de mettre tout le monde à l’abri, particulièrement dans ces périodes de grand froid. Des places ont été mobilisées : normalement, chacun peut y trouver sa place. Des personnes ne s’y rendent pas alors qu’elles sont dans des conditions qui ne respectent pas la dignité humaine. Il y a un risque évident d’ordre public et il nous faut, pour mieux comprendre ce dysfonctionnement, les identifier et connaître plus précisément leurs parcours pour proposer des orientations mieux adaptées. »

Le défi est de taille car, contrairement à ce que certains raccourcis peuvent donner à penser, « derrière le terme de SDF, il y a tellement de complexités, rappelle Rémi, lui-aussi travailleur social, à Orléans depuis six ans. Ce ne sont pas seulement des gens à la rue. »  Certains sont plongés dans une rupture totale, dans l’écroulement de leurs repères : ils étaient chefs d’entreprise, boulangers, militaires, ils viennent d’Afrique ou d’Europe centrale... Il faut comprendre, reprend Benjamin, qu’il y a une grande « diversité de profils. Des addictions, la difficulté pour certains à investir un logement, à abandonner leurs affaires, leurs chiens. Ce sont des parcours chaotiques, des singularités, des cultures différentes. »

Plus d’une centaine de personnes se retrouvent aujourd’hui à la rue dans l’agglomération orléanaise. Auxquelles il faut rajouter celles qui sont en errance, en déplacement permanent, qui se font héberger chez des connaissances ou sous-louent des biens immobiliers à des marchands de sommeil peu scrupuleux. Chaque cas est particulier et mérite une attention spécifique. Près du pont du l’Europe, des baraquements et leurs habitants sont régulièrement menacés par les montées du fleuve, battus par le vent froid et couverts par la neige.

Ceux qui vivent ici espèrent un logement, assure Rémi, mais, « sans emploi, ils n’ont aucune perspective ». Un cercle vicieux dont il est si compliqué de sortir, car, pour Benjamin, « comment travailler sans logement, sans lieu pour s’habiller, se changer, se laver ? Être à la rue demande une énergie considérable, prévient-il. C’est un parcours du combattant pour aller petit-déjeuner, chercher de l’aide, manger au relais, trouver un abri, se laver, soigner son apparence, on ne se rend pas compte ! »

D’où la difficulté de répondre aussi nettement à l’exigence formulée par le président de la République. Les travailleurs sociaux, sur le terrain, font donc ce qu’ils peuvent pour soulager le quotidien, accompagner et orienter. Toujours en binômes, « on se rend en rue au quotidien, raconte Benjamin, voir si ça va, proposer un café ou un thé. On essaie de créer un lien, de développer de la confiance petit à petit. » Dans un bâtiment abandonné en plein milieu urbain, un Hongrois a investi les lieux. Arrivé il y a plusieurs mois après un long parcours, parlant à peine français, il a réussi à leur demander du scotch pour isoler les fenêtres cassées, désormais bouchées par des cartons, où il pouvait se doucher, comment s’alimenter.

À l’Ecu Saint-Laurent, les services de proximité proposent 25 places d’accueil de nuit qui, souvent, se prolongent, ainsi qu’une collation matinale. La cour de cet ancien cloître offre un sas, une sorte de palier médian entre l’extérieur et les bureaux souvent impressionnants, où les contacts peuvent se nouer naturellement. Ils offrent même des sorties culturelles, comme au château de Chambord, au son et lumière de Cléry-Saint-André, ainsi que des accès à tarifs réduits à la piscine, au théâtre ou au cinéma.

Ils organisent un repas partagé le dimanche midi, une journée familiale où la solitude semble encore plus prégnante, un moment où l’on peut se poser, cesser d’errer en quête de nourriture et d’endroit pour dormir. « À travers le plaisir, ces gens nous voient différemment, remarque Rémi, pas seulement sur l’aspect social ou administratif. On peut aussi déceler des potentiels. » Un temps qui n’existe pas dans la plupart des hébergements d’urgence, accueils de nuit où les travailleurs sociaux ne peuvent être présents. Les personnes arrivent le soir et repartent le matin, reprenant leur chemin.

On le voit, la problématique des personnes en situation d’extrême précarité dépasse la question de l’hébergement. Rémi regrette par exemple l’absence d’une équipe médicale mobile qui pourrait assurer un suivi de terrain, psychologique notamment. « C’est dur pour nous d’associer les aspects social et médical », abonde Benjamin, qui s’interroge sur le suivi : sortir d’une cure de sevrage alcoolique pour retourner à la rue ensuite ? Autant de problématiques vécues par les acteurs de terrain, qui ne permettent pas aussi facilement que le président le voudrait de remplir les places dans les hébergements sociaux. Autant de sujets qui débordent du cadre unique du logement, même en situation d’urgence : une personne qui vit dehors n’est pas qu’un SDF, c’est un être humain dans toute sa complexité.